École Waldorf. Pédagogie (1919-1924)
Le mouvement pédagogique inauguré par Rudolf Steiner est connu sous le nom d'une fabrique de cigarettes : « Waldorf ». Comme toujours, Rudolf Steiner attendit que l'impulsion vienne de l'extérieur avant de se décider à agir. Pour la pédagogie, cette impulsion vint du conseiller commercial Emil Molt, directeur de « Waldorf-Astoria ». Celui-ci était très préoccupé de la dignité des travailleurs et des employés de son entreprise. Cette firme offrait des cours de formation aux ouvriers et possédait un journal professionnel d'un niveau élevé. Des gardes d'enfants et des avantages sociaux de toute nature consentis volontairement existaient également dans l'entreprise, ce qui pour l'époque était très rare. Les ouvriers eux-mêmes émirent le vu que la formation qui leur était donnée ne soit pas seulement réservée aux adultes, mais que leurs propres enfants puissent en bénéficier. Emil Molt saisit l'occasion et confia à Rudolf Steiner le soin de fonder cette école professionnelle, de résoudre toutes les questions qui s'y rattachaient et d'en assurer la surveillance.
C'est ainsi qu'un an après le désastre et l'écroulement de l'empire allemand, en 1919, la première école « Waldorf » fut créée tout d'abord école professionnelle d'une fabrique de cigarettes, mais en réalité, premier germe fécond d'un mouvement scolaire mondial. Rudolf Steiner, élève à l'école secondaire, puis étudiant, avait eu de nombreuses occasions de faire des expériences pédagogiques. Il devait en effet d'abord gagner son argent de poche, puis plus tard, subvenir à ses besoins grâce à des répétitions et à des leçons particulières. Lorsqu'il avait été professeur à l'école de formation des ouvriers à Berlin, il avait pendant cinq ans, donné régulièrement des cours à des adultes. En 1907, il avait publié un petit essai, « L' Éducation de l'enfant du point de vue de la science spirituelle. » Douze années plus tard, l'occasion lui fut offerte de traduire ses pensées et ses idées en actions. Une bonne étoile a dû protéger cette activité, dans la situation désespérée de l' Allemagne à cette époque, et compte tenu des difficultés inhérentes aux premiers pas d'un mouvement de ce genre. En effet, si l'on jette aujourd'hui un regard en arrière, on demeure étonné du nombre considérable de pédagogues de valeur qui, en un temps très court, accoururent pour participer au collège des éducateurs de la première école Waldorf. Des personnalités comme Stockmaker, le Dr Kolisko, le Dr Stein, le Pr von Baravalle, le Dr Hahn, le Dr Lehrs, le Dr Schwebsch, l'ingénieur diplômé Alexander Strakosch, Ernst Bindel, Ernst Uehli, Maria Röschl, Caroline von Heydebrand, le peintre Max Wolfhügel, le musicien Paul Baumann et beaucoup d'autres qui par la suite, grâce à leurs propres ouvrages pédagogiques, créèrent l'atmosphère unique, porteuse de l'esprit, de la première école Waldorf
Dans l'ouvrage d'éducation déjà mentionné, on peut lire :
« La science spirituelle pourra donner des indications sur toute chose, et même sur le genre de nourriture nécessaire à telle ou telle personne. Ce qui compte ici, c'est d'avoir été appelé à construire, à édifier un art de l'éducation. Car c'est un aspect réaliste de la vie et non une grise théorie telle qu'elle pourrait apparaître encore aujourd'hui après les erreurs de bien des théosophes. »
Voici donc que l'anthroposophie est appelée à édifier cet art de l'éducation. Rudolf Steiner mit tout son cur dans la création de cette école. De 1919 à 1924, en Allemagne, en Angleterre et en Hollande, il ne fit pas moins de quinze cycles de conférences aux professeurs et aux éducateurs, dans lesquels il donna les idées directrices de sa pédagogie basées sur ses conceptions anthroposophiques. A la fin du mois d'août 1922, Rudolf Steiner fut appelé à Oxford et invité à la semaine anglaise de l'éducation pour y faire une conférence sur le thème : Spiritual Values in Éducation and Social Life (valeurs spirituelles dans l'éducation et la vie sociale). Il trouva en Angleterre ce que, pendant toute sa vie, il eut si rarement l'occasion de rencontrer : un accueil reconnaissant du grand public. On peut lire dans le Manchester Guardian du 3 août 1922 :
« Le point central de toute la conférence fut la personnalité et l'enseignement de Rudolf Steiner.(...) Ses conférences, pour lesquelles nous lui exprimons une reconnaissance toute spéciale, nous ont apporté de façon vivante un idéal humanitaire d'éducation. Il nous a parlé de professeurs qui, en communauté, utilisent en toute liberté, sans être limités par des ordonnances ou des réglementations extérieures, une méthode d'éducation tirée uniquement de leur connaissance exacte de la nature humaine. Il nous a parlé d'un genre de connaissance dont l'éducateur a besoin, connaissance de l'entité humaine et de l'univers, qui est aussi bien scientifique qu'artistique et intuitive, et qui pénètre profondément dans la vie intérieure. »
Voyons, en un très court résumé, quelles sont les impulsions les plus importantes données par Rudolf Steiner. L'école Waldorf, car c'est d'après ce modèle que toutes les écoles qui suivirent furent organisées, est en même temps une école populaire et une école supérieure; elle est divisée en douze classes (aujourd'hui beaucoup d'entre elles ont une treizième classe pour la préparation au baccalauréat). Il n'est pas question d'une école spéciale où l'anthroposophie est enseignée aux élèves. Le professeur qui l'enseignerait serait un mauvais éducateur. Mais par son travail personnel et sa vie au contact de l'anthroposophie, il devient lui-même, en un certain sens, l'image de l'anthroposophie. La formation donnée aux enfants est générale. L'adolescent doit recevoir l'aide dont il a besoin pour se trouver lui-même, afin que plus tard il puisse décider librement de sa vie professionnelle ou culturelle par rapport à ce que lui offre le monde moderne. Dès le départ, le principe de la coéducation était naturellement acquis, les garçons et les filles recevant l'enseignement ensemble et s'encourageant consciemment ou inconsciemment, selon la polarité de leurs dispositions. Le « retard » tellement craint ailleurs, n'existe pas dans une école Waldorf, de même que la sélection des « têtes » les plus douées qui est si courante actuellement. Les relations sociales en sont d'autant plus intenses. L'élève avancé est retenu pour aider l'élève moins doué. Il apprend ainsi à employer ses forces sociales qui, sinon, demeureraient en friche.
Pour éviter le plan d'études morcelé et dispersé, l'enseignement principal est donné par « époques » de deux heures chaque jour sans interruption pendant plusieurs semaines; puis, le thème principal change. A la suite des cours consacrés par « époques » au thème principal (époques d'histoire, de géographie, de mathématiques, ou de littérature), viennent les matières qui demandent un travail et un exercice permanents (langues étrangères, disciplines musicales et artisanales, gymnastique, eurythmie). De la première à la huitième année d'école, les enfants ont le même professeur de classe, qui leur dispense l'enseignement principal (les époques). De cette manière, l'enseignant acquiert au cours d'une expérience de sept années. la connaissance subtile de la croissance des adolescents. Les enfants grandissent ensemble en une petite communauté scolaire. De la neuvième à la douzième année scolaire, l'enseignement principal est aussi donné par des professeurs compétents. A ce stade, les enfants sont aujourd'hui souvent partagés selon leurs capacités; certains se tournent vers la science, d'autres vers le travail pratique.
Parmi les langues l'enseignement du français et de l'anglais commence dès la 1er classe afin d'introduire les enfants dans l'habitude de la langue par le chemin de la répétition naturelle, en se servant essentiellement de l'ouïe comme ils s'en sont servis pour apprendre leur langue maternelle. Ils apprendront les règles grammaticales plus tard. Le latin commence en 6è classe, comme 3è langue étrangère. On fait particulièrement attention à la prononciation du mot chez chaque enfant. On recherche un certain rapport intérieur de l'enfant avec le langage. Tout enseignement entre la 1er et la 8è classe, doit être imprégné d'un caractère artistique. On accorde une certaine valeur à l'adresse, à la dextérité manuelle; tricoter, tisser, tresser, relier, sont des activités obligatoires tant pour les garçons que pour les filles. L'artisanat comprend la sculpture, le travail du bois, la menuiserie, les travaux sur pierre, métal, argile. La peinture et plus tard le dessin sont aussi enseignés. Pendant les heures réservées à la musique, les enfants apprennent à jouer correctement de la flûte. Chaque école possède des churs et des orchestres. L'eurythmie est essentielle et obligatoire dans toutes les classes. La gymnastique et le sport (l'athlétisme léger) vont de soi de nos jours.
L'enseignement religieux est donné selon le désir des parents par les représentants de la religion demandée. Les élèves qui ne prennent pas part à l'enseignement religieux, reçoivent un enseignement chrétien libre. Les relations amicales et la confiance entre parents et professeurs ont une grande importance; régulièrement, des soirées réservées à des entretiens entre parents et professeurs ont lieu. Les fêtes du solstice d'été et de l'avent, la représentation des « Jeux de Noël », les fêtes mensuelles régulières, sont comme des voiles protecteurs autour des écoles, au sein desquelles vit la communauté scolaire, les parents, les professeurs et les élèves. Ces écoles en voie de réalisation, ont bien entendu connu des périodes de crise. Les difficultés tiennent principalement au manque de professeurs enseignant les matières spéciales aux classes supérieures et aussi à l'importance et à l'augmentation rapide du nombre des écoles. Il faut des personnalités fortes et altruistes pour accomplir ce travail sans dépendre d'une autorité extérieure. Les jeunes devant acquérir les connaissances matérielles nécessaires à la vie professionnelle du XXè siècle, il faut que l'enseignement leur ait montré de façon péremptoire comment l'esprit pénètre la matière. En même temps, il faut les préserver des effets néfastes de l'époque matérialiste. Lorsqu'en 1925, Rudolf Steiner mourut, il y avait deux écoles en Allemagne, une en Hollande et une en Angleterre. En 1962, vingt-six écoles existaient à l'étranger (Hollande, Angleterre, France, Scandinavie, États-Unis, Mexique, Brésil, Argentine).