Souffrance, Mort et Résistance

Le KZ de Sachsenhausen connaît la même gamme d'exactions et d'atrocités que les autres camps de concentration.

Exactions et sévices

La prison

« La prison du camp (Zellenbau) est séparée du reste du camp par des barbelés, des palissades et un mur. 80 cellules servent aux arrêts qui comprennent trois degrés: les arrêts normaux, jusqu'à 28 jours en cellule éclairée, avec la ration normale; les arrêts moyens, jusqu'à 42 jours, avec de la nourriture chaude seulement tous les trois jours; les arrêts durs en cellule obscure, où le prisonnier ne peut ni s'asseoir ni se coucher durant toute la journée. Certains ne quittèrent jamais cet enclos et y trouvèrent la mort, comme l'écrivain communiste Hongrois Julius Alpari, arrêté à Paris en 1941 et fusillé au camp le 17 juillet de la même année. Le pasteur Niemöller (qui avait refusé de créer une Église inféodée au national-socialisme), condamné à sept mois de prison le 2 mars 1938 par le tribunal de Berlin-Moabit et attendu à sa sortie par la Gestapo, est amené au KZ où il restera jusqu'à la fin dans la prison... »

Le crapaud

Le crapaud sanctionne les fautes bénignes. Après avoir marché le long de l'Appellplatz, puis rampé (dans la boue) puis couru, le crapaud consiste à faire plusieurs fois le même trajet en sautillant à croupetons les mains sur la nuque, bien sûr sous les coups des SS.

La schlague

La schlague permet le second échelon des sanctions: 10 à 50 coups sont appliqués par la schlague, composée d'une tige d'acier entourée de deux nerfs de bœuf tressés autour, le tout recouvert d'une gaine de cuir. La schlague mesure environ un mètre. Le prisonnier est attaché sur le Bock, déjà décrit. Il doit compter à haute voix le nombre de coups qu'il reçoit, sans quoi les coups ne sont pas jugés valables. S'il s'évanouit, le bourreau le ranime avec un seau d'eau, puis la séance reprend. Pendant plusieurs semaines, le puni ne pourra plus se coucher sur le dos.

Le pieu

Le pieu est une punition infligée dans la cour du bâtiment des cellules. Le pieu est un poteau de bois d'environ 3 mètres de haut, planté en terre et d'où pendent des chaînes fixées à son sommet. Le prisonnier, qui a les mains liées derrière le dos, est accroché à ces chaînes puis hissé, bras retournés, pieds ballants, pendant des heures, sous les coups des SS.

L'Erdbunker

Non loin des pieux a été installé un cachot souterrain (Erdbunker) où le détenu est descendu par un puits, une corde passée sous les aisselles. Il y reste plus ou moins longtemps, dans l'obscurité la plus complète, le plus souvent privé de nourriture.

La Strafkompanie (SK)

« La Strafkompanie (SK), ou compagnie disciplinaire, est à l'intérieur du camp un bagne dans le bagne. Les punis y sont assignés en cas de manquement grave à la discipline. La Gestapo y envoie directement des prisonniers avec la mention RU (" retour non souhaité "). Les détenus de la SK sont isolés dans l'aile d'un Block spécial, dont l'accès est strictement interdit aux autres prisonniers. Ils portent sur leurs vestes et leurs pantalons de gros points rouges et noirs qui les signalent de loin aux SS et aux surveillants. Ils sont astreints aux corvées les plus dures. Au début, la Strafkompanie de Sachsenhausen est affectée à la carrière d'argile de la briqueterie de Klinker. Elle y loge à partir de la mi-août 1941. Les hommes travaillent dans l'eau jusqu'aux genoux et ne peuvent se déplacer qu'au pas de course, y compris pour pousser des wagonnets de glaise. Durant l'été 1942, sur un effectif constamment maintenu entre soixante-dix et quatre-vingts punis, il en meurt chaque jour quatre ou cinq d'épuisement et sept à dix sont abattus quotidiennement pour de prétendues tentatives d'évasion. Tels sont les chiffres avoués à son procès, après guerre, par le lieutenant SS Ficker, qui commandait la SK à cette époque. En 1943, une seconde SK est créée dans le KZ même. La centaine de punis de cette deuxième SK forme le Schuhlaüfer-kommando, le kommando des essayeurs de chaussures. Ils testent différents modèles de chaussures destinées à l'armée. De 6 heures à 17 heures, avec une heure de pause pour la soupe de midi, ils marchent sur une piste qui fait le tour de la place d'appel. Ses 680 mètres sont fractionnés en secteurs de divers revêtements: béton, terre labourée, mâchefer, terre battue, pavés, caillasse, sable, gravier, mare d'eau. Au total, soixante tours sont accomplis dans la journée, soit près de 41 kilomètres, entrecoupés de séances de génuflexions pour éprouver la résistance des tiges des brodequins. Les plus sévèrement punis doivent effectuer leurs 41 kilomètres par jour avec sur le dos un havresac chargé de 12 kilos de sable, exécuter des exercices au pas de course, ramper pour user le bout des chaussures, etc. »

Sachso indique que des dizaines de Français se succéderont en SK pour un temps plus ou moins long, soit à la SK de Klinker, soit à la SK de Sachsenhausen, soit dans l'une et l'autre.

Pendaisons

Sachso les évoque :

« L'appel du soir, le plus redouté, est le moment choisi par les SS pour la pendaison publique des détenus qu'ils ont condamnés à mort. Le gibet dresse sa sinistre silhouette au-dessus de la place: deux poteaux soutenant une poutre transversale à laquelle est attachée la corde avec sa boucle pendante au-dessus d'une planchette mobile qui repose sur deux taquets. Après lecture par un SS de la sentence de mort, le bourreau se saisit du condamné, l'aide à monter sur un escabeau, puis sur la planchette, lui serre la corde autour du cou, le nœud sur la nuque et saute à terre pour, d'un geste prompt, retirer un taquet de dessous la planchette qui tombe. Le corps est agité de terribles soubresauts qui diminuent peu à peu. Bientôt, ce ne sont plus que des tressaillements. La tête penche en avant. C'est fini. 20 000 hommes défilent maintenant tête nue, au pas cadencé, devant la potence. Chacun doit fixer la victime que l'on emportera tout à l'heure dans une caisse noire munie de brancards, qui attend au pied du gibet. Des matraqueurs sont là pour rappeler de quel côté il faut regarder. Si la pendaison a lieu un samedi, elle s'effectue avec l'orchestre du camp. »

Fusillades

La lettre Z étant la dernière lettre de l'alphabet, les SS baptisent Station Z la partie du camp où se trouvent les fosses d'exécution, les chambres à gaz et les crématoires. Cette Station Z entre en service fin mai 1942, avec l'exécution de 250 juifs en représailles de la mort d'Heydrich abattu à Lidice près de Prague. Loritz, l'adjoint du commandant du camp Suhren, fait exécuter le même jour 200 prisonniers du kommando Klinker. Le massacre le plus terrible est celui de 22 000 prisonniers de guerre soviétiques. Enfermés à part dans un groupe de baraques (les Blocks 10, 11, 12, 34, 35, 36) en septembre 1941, ils sont exterminés dans des conditions atroces. Ils ne reçoivent aucune nourriture pendant plusieurs jours. À 3 000 par baraque, ils sont obligés de rester debout, coincés les uns contre les autres. Au matin, ils doivent faire passer par-dessus leurs têtes les morts de la nuit pour les jeter à l'extérieur par les fenêtres. Quand ils sortent, c'est pour aller au massacre, à la chaîne.
Tragédie de la déportation rapporte le témoignage de Robert Franqueville sur ce massacre.

« Au début, on les exécutait au moyen d'une curieuse machine. Amenés à l'Industrie-Hof, en camion, dans une salle insonore, les hommes passaient un par un sous une toise. Pendant qu'un garde faisait le simulacre de prendre la mesure de la taille, un dispositif spécial tuait le patient d'une balle dans la tête; un seau d'eau sur le carrelage, et au suivant... Cette mise en scène était trop lente. On construisit une fosse bétonnée qui pouvait contenir une cinquantaine de corps. Une mitrailleuse camouflée faisait le reste. Ce moyen fut aussi abandonné comme trop bruyant. On entendait les rafales du dehors, il ne fallait pas qu'on se doutât qu'à Sachsenhausen, le camp modèle, on tuait en série. Ensuite, on construisit la fameuse chambre à gaz, moins expéditive mais silencieuse et tellement plus propre. Moi j'aidais au transport des morts du camp russe au crématoire. Dans les sous-sols, c'était une véritable boucherie, un échaudoir du marché de La Villette. »

Gazages

Dans son procès devant le tribunal militaire soviétique, le procureur d'État posa à Kaindl, commandant du KZ, la question suivante :

• Quels sont les procédés d'extermination qui ont été employés dans votre camp ?

Jusqu'à l'automne 1943, les exterminations étaient accomplies à Sachsenhausen par fusillade ou pendaison.

• Avez-vous apporté quelque modification à cette technique d'extermination ou non ?

Vers la mi-mars 1943, j'ai introduit la chambre à gaz comme moyen d'extermination en masse.

• De votre propre initiative ?

En partie, oui. Les installations existantes ne suffisaient plus à l'extermination prévue. Je tins une conférence, à laquelle prit part le médecin en chef Baumkötter. Celui-ci me dit que l'emploi d'un toxique tel que l'acide prussique dans des chambres préparées à cet effet provoquait une mort instantanée. C'est pourquoi je considérai comme indiqué, et aussi comme plus humain, l'installation de chambres à gaz pour les exécutions en masse.

• Qui était responsable des exterminations ?

Le commandant du camp personnellement.

• Donc c'était vous ?

Oui.

Aussi bien Kaindl que l'ancien détenu Sakowski, qui avait travaillé comme bourreau du camp dans le complexe du crématorium et avait assisté à des gazages, se livrèrent au cours du procès à une description de la chambre à gaz. Celle-ci était munie d'un dispositif permettant l'ouverture automatique des bouteilles; un ventilateur à pression était installé sur le mur extérieur. On y introduisait la bouteille, qui était ouverte mécaniquement, et le ventilateur diffusait le gaz dans la chambre à travers un système de tuyaux. C'est pourquoi les SS n'avaient pas besoin de masques à gaz à Sachsenhausen, à la différence de ce qui se passait dans la plupart des autres camps.
Le nombre des gazés de Sachsenhausen n'a jamais pu être établi.

Expérimentations médicales

Sachso indique que les SS tuaient à l'aide de piqûres de benzine, notamment au Revier. Mais des expériences avaient lieu également. Devant la cour criminelle à Dusseldorf, le SS Wiedemann a reconnu, le 16 mai 1961, que sur l'ordre de Skorzeny il a expérimenté des balles empoisonnées tirées sur des déportés. Ces balles de 6,5 mm et de 7,65 mm étaient explosives afin d'accélérer la pénétration du poison dans le sang.
Sachso indique également qu'ont été expérimentées des petites ampoules de cyanure sur des détenus.

« Il s'agit de trouver la plus petite dose foudroyant un homme en quinze secondes maximum. Dans les documents du procès de Nuremberg contre les médecins SS, il est noté que, de septembre 1939 à avril 1945, se sont poursuivies au Revier de Sachsenhausen des recherches sur des détenus en bonne santé concernant un gaz liquéfié appelé " 01-0 " (Huile0) qui, au contact de la peau, déclenche des infections microbiennes. Dans ces mêmes archives, il est spécifié que, sur l'ordre exprès de Himmler, le médecin SS Gebhardt et son assistant Fischer ont fait les premières recherches de sulfamide sur quinze détenus de Sachsenhausen, dont la plupart sont morts dans d'horribles souffrances. Du 1er au 15 juin 1943, le médecin SS Dohmen, qui étudie soi-disant un médicament contre la jaunisse, fait mourir huit malades de Sachsenhausen, etc. À quoi il faut ajouter les expériences particulières menées pour le compte des services spéciaux du colonel SS Skorzeny, notamment désireux de tester armes nouvelles, poisons, etc. »

Résistance

Lorsque arrive le premier convoi de Français en juillet 1941, une organisation clandestine de résistance est déjà en place à Sachsenhausen. Elle est dirigée par des antifascistes allemands, notamment les communistes Albert Buchmann, Rudi Grosse et le Lagerälteste Harry Naujocks. Maintes fois décimée par les SS, elle a été chaque fois reconstituée. Elle présente les caractéristiques déjà relevées pour les autres KZ. Elle sélectionne très rigoureusement ses membres. Elle établit sans tarder la liaison avec les mineurs français. Le 25 janvier 1943, deux importants transports de Français arrivent de Compiègne, ce qui permet de constituer une résistance française autonome, mais toujours en relation étroite avec la résistance internationale.

Le cloisonnement indispensable et les affinités naturelles font que ces groupes se forment selon les nationalités et selon les liens doctrinaux. Les communistes, notamment, se structurent rigoureusement, selon la technique du triangle. Cette résistance clandestine permet, comme dans les autres KZ, de mettre en oeuvre une solidarité agissante, de recueillir et de communiquer des informations sur le déroulement des opérations militaires, d'organiser l'accueil des nouveaux arrivants et même de permettre à des prêtres déportés de dire la messe en secret au camp central comme dans les kommandos. (Des contacts pris avec des civils des usines permettent de faire passer à ces prêtres des hosties et même un missel.)

La résistance organise également des manifestations patriotiques. Ainsi le 14 juillet et le 11 novembre, les déportés observent une minute de silence tous ensemble au même moment et arborent à la boutonnière un insigne tricolore confectionné avec des morceaux de fils électriques de couleur. Les déportés s'efforcent en même temps de saboter la production industrielle. Le kommando Heinkel obtient, dans ce domaine, de tels résultats sur le HE 177 que la fabrication à la chaîne de ce bombardier doit être arrêtée! Les dangers sont permanents pour les saboteurs, surveillés par une multitude de mouchards. Le 11 octobre 1944, 27 responsables de la résistance intérieure du KZ, dont trois Français, sont exécutés. 102 antinazis sont envoyés le 25 octobre 1944 en " transport de représailles " au KZ de Mauthausen, à la suite de l'enquête de la commission dirigée par le SS Cornely. D'autres suivront.

Mais les politiques allemands August Baumgarte, Max Opitz, Otto Walter, Ottomar Geschke continuent leur action, avec Fritz Wintz et Engelmann. Sont à leurs côtés les représentants des Autrichiens (Pointner), des Tchèques (Antonin Zapotocky et Jaromir Dolansky), des Soviétiques (général-major Sotov), des Belges (Xavier Relecom), des Polonais (Anton Levinski et Lewandowski), des Norvégiens (Johannsen) et des Français (François Bagard et Raymond Labeyrie). Le danger le plus redouté est l'extermination à l'arrivée des armées alliées. Des groupes de combat sont donc mis en place, en même temps qu'est élaboré un plan d'autodéfense. Mais les armes manquent, face aux Allemands qui resteront toujours plus de 15 000 jusqu'en avril 1945. Dès 1941 pourtant, les Français fabriquent des poignards. En fait, le peu d'armement sérieux, au camp central, est entre les mains des déportés allemands et soviétiques. Ainsi Rudi Wunderlich réussit à cacher dans les bidons de soupe vides revenant aux cuisines 8 automatiques Mauser, 300 cartouches et une vingtaine de grenades provenant du magasin des SS. Au mois d'avril 1945, l'échéance paraît imminente. Sachso donne des précisions sur l'armement dérisoire qu'a pu rassembler la résistance internationale:

« Aux mitrailleuses braquées de tous les miradors, aux lance-flammes éventuels, ne s'opposent qu'une quarantaine de mousquetons et de revolvers, quelques grenades venues de Klinker avec celles récupérées à Lichterfelde, et les engins de fortune fabriqués avec les moyens du bord. Tant que le camp n'est pas coupé des ateliers, on a stocké de l'essence, de l'acide sulfurique et du chlorate de potasse pour faire des cocktails Molotov. Des fils de fer et des barres métalliques sont prévus pour court-circuiter les barbelés électrifiés, des couvertures et des planches de châlits pour franchir les enceintes ainsi neutralisées. Les anciens combattants d'Espagne, les prisonniers de guerre russes survivants et les FTP français encadreraient la masse des déportés et tenteraient de gagner les dépôts d'armes SS, les véhicules et les blindés de KWA et du dépôt Wald. Tous sont décidés à se battre si le combat leur est imposé mais d'un commun accord, il faut maintenir intacte l'organisation jusqu'à la limite du possible. »

Mais l'affrontement inégal n'aura pas lieu. Le 21 avril 1945, l'évacuation générale du camp est ordonnée pour plus de 30 000 hommes et 5 000 femmes. Le lendemain 22 avril, un détachement d'éclaireurs soviétiques arrive. Il ne reste plus au KZ que les malades du Revier: 3 000 hommes et 2 000 femmes, entourés par les médecins Français Coudert et Leboucher , trois médecins Belges et un Norvégien.

LA FIN

Le processus sanglant décrit pour les autres KZ se reproduit à Sachsenhausen.

Les exécutions

Les SS procèdent à des exécutions massives au cours des dernières semaines et même des derniers jours.

« C'est le temps redoutable des liquidations de masse, écrit Sachso. La cour de l'Industrie-Hof est rouge du sang des fusillés: 178 pour la seule nuit du 1er au 2 février. Le 4 février, 45 prêtres et pasteurs, dont les abbés Dupont et Hartemann, sont envoyés à Bergen-Belsen.
En février 1945, sur l'ordre du gouvernement, la direction du camp prépare l'extermination des détenus du camp de Sachsenhausen et de ses dépendances, relate le procès des bourreaux SS de Sachsenhausen tenu du 23 octobre au 1er novembre 1947 devant le tribunal militaire des forces soviétiques d'occupation en Allemagne. Comme le déclare l'ex-commandant du camp, l'accusé Kaindl, il reçut l'ordre en question le 1er février 1945. Cet ordre émanait du Reichsführer Himmler. Le 2 février 1945, Kaindl se mit à exécuter l'ordre reçu. Il ordonna tout d'abord d'exterminer les malades et les détenus inaptes au travail. Les accusés Höhn, Baumkötter et Rehn choisirent les personnes à exterminer; la direction générale de l'action était aux mains de Höhn. L'accusé Höhn déclara: " Au début de 1945, Kaindl me fit venir à lui et me déclara: Je reviens à l'instant de Berlin. J'ai reçu l'ordre d'exterminer les détenus qui se trouvent au camp. Kaindl ajouta: nous laisserons 12 000 hommes pour le travail dans les usines d'armement et nous exterminerons le reste. Kaindl me chargea du travail d'organisation destiné à exterminer les détenus sur place. À 9 heures du soir, nous commençâmes l'exécution des détenus. Les chefs de Blocks transportèrent les détenus au crématoire, où il furent exterminés par un kommando venu spécialement d'Auschwitz et dirigé par Moll. L'extermination des détenus se poursuivit journellement et le crématoire où l'on incinérait les cadavres fonctionna nuit et jour. Ainsi, au cours des mois de février et mars 1945, 5 000 détenus furent tués au camp de concentration de Sachsenhausen. »

Les bombardements

Les derniers mois furent ensanglantés par les bombardements de l'aviation alliée qui devaient causer la mort de milliers de déportés. Le 18 avril 1945, Heinkel est l'une des grandes usines de matériel de guerre de la région à subir une attaque des bombardiers anglo-américains. Plus de 1 000 bombes s'abattent sur l'usine. Il y aura entre 320 et 500 morts parmi les déportés. Le 15 mars 1945, les usines Auer d'Oranienbourg sont complètement détruites par 600 forteresses volantes qui lâchent 1 506 tonnes de bombes explosives et 178 tonnes de bombes incendiaires. 1 000 déportés environ sont tués, sur un effectif de 2 000.

Le 10 avril 1945, c'est Klinker qui est détruit (plusieurs centaines de déportés sont tués, dont des Français), ainsi que tout le complexe industriel et militaire disséminé dans la forêt du Wald (des bombes tombent sur le camp lui?même, tuant plusieurs dizaines de déportés). Après le raid, un déporté yougoslave qui avait volé un pain dans la cuisine en profitant du bombardement est pendu devant les déportés rassemblés sur l'Appellplatz.

Les " marches de la mort "

L'évacuation du camp le 21 avril 1945 et celle des kommandos s'accompagnent des scènes d'horreur décrites pour les autres KZ. Sachso relate d'une façon très détaillée les arrivées des convois provenant d'autres KZ et les départs des convois partis de Sachsenhausen vers d'autres KZ, l'anarchie des derniers jours, ainsi que les terribles épreuves des déportés au cours des marches de la mort.
Dans son rapport officiel, M. de Coquatrix, un des organisateurs chargés par la Croix-Rouge de ravitailler les détenus de Sachsenhausen, écrit:

« Ma tâche consistait à ramener des colis de vivres par des camions Croix-Rouge vers les colonnes de détenus qui, la plupart du temps, n'étaient pas ravitaillés par les SS. J'ai procédé à ce ravitaillement au moyen des réserves constituées à Wagenitz. Pendant quatre jours et quatre nuits, les camions roulèrent et les chauffeurs et moi fûmes témoins des faits suivants. Le matin du 22 avril, nous découvrîmes sur une longueur de 7 kilomètres, entre Löwenberg et Lindov, les vingt premiers détenus fusillés au bord de la route: tous avaient reçu une balle dans la tête. Au fur et à mesure de notre avance, nous rencontrâmes un nombre toujours plus grand de détenus fusillés au bord de la route ou dans les fossés. Dans les forêts, entre Neuruppin et Wittstock, nous avons trouvé alors régulièrement aux endroits où les détenus avaient passé la nuit ou à des endroits de halte, plusieurs cadavres, en partie jetés dans les feux du camp et à moitié brûlés. Le troisième jour de l'évacuation, nous rencontrâmes encore plus de cadavres que la veille. Des détenus de nationalités diverses nous ont secrètement déclaré que les SS et les criminels allemands en uniforme de la Wehrmacht continuaient à tuer, à coups de fusil dans la tête, chaque détenu exténué. Les malades étaient également fusillés de la même manière. Les SS profitaient de chaque occasion pour fusiller les notables. L'examen d'un grand nombre de cadavres a révélé que toutes les victimes avaient été liquidées d'une balle dans la tête. Sur notre demande, les détenus nous ont déclaré que souvent les SS ont obligé leurs victimes à s'agenouiller ou à s'allonger, 50 mètres derrière la colonne en marche, pour être exécutées. Il nous fut impossible d'apprendre le nombre exact des tués. Sur notre parcours, nous avons vu au total plusieurs centaines de morts. Je déduis des nombreux entretiens avec des détenus qu'environ 15 à 20 % de l'effectif du camp de concentration d'Oranienbourg a été tué de la manière décrite plus haut. »

Conclusion

Le KZ de Sachsenhausen a centralisé la plus grande partie des rapines et pillages commis par les SS dans l'Europe occupée par la Wehrmacht. Ainsi que ce qui a été volé sur les déportés eux-mêmes. Dans une note figurant aux archives du procès de Nuremberg, par exemple, Pohl informe Himmler qu'il y a à Sachsenhausen: 100 000 montres bracelets, 39 000 montres de poche, 7 500 réveils et pendulettes, 37 500 porte-mines, 16 000 stylographes. Ce qui prouve que plus de 139 000 déportés sont passés par le KZ.
Combien y sont morts? Les quatre crématoires ont fonctionné sans interruption jour et nuit.

« Un chiffre donne une idée partielle de leur rendement, écrit Sachso: on découvrit après la guerre, non loin des fours, deux fosses de 27 mètres cubes remplies de cendres. Il suffit de savoir qu'un corps humain donne un litre de cendres pour avoir une estimation du charnier mis à jour: 54 000 morts au moins. Et toutes les cendres n'étaient pas là, puisqu'en 1947 un SS reconnaissait à son procès avoir déversé en janvier 1945 dans le canal Hohenzollern, près du camp, trois camions de cendres, soit environ 9 tonnes. D'autre part, avant leur passage au crématoire, les cadavres étaient dépouillés de leurs dents artificielles et prothèses. Or on a trouvé à la libération du camp, dans des caisses en bois, 300 000 dents en porcelaine ou en métal et des couronnes dentaires correspondant, selon les experts, à 80 000 morts. »

Au terme de son étude sérieuse, Sachso estime que 204 537 déportés sont entrés à Sachsenhausen entre le 12 juillet 1936 et le milieu d'avril 1945, appartenant à vingt nationalités, dont au moins 8 000 Français (8 000 à 9 000). 100 167 personnes y ont été exterminées, soit exactement la moitié.