La Mort à Ravensbrück

Le KZ de Ravensbrück a connu toute la gamme des crimes commis par les nazis dans les autres camps de concentration.

Les sévices

À côté des sévices quotidiens, gifles, insultes, morsures de chiens, etc., existe à Ravensbrück toute une gamme de punitions, comme dans les autres KZ.

La pause

Souvent corsée par la privation de nourriture, accompagnée de coups, la pause, station debout au garde-à-vous dehors devant le Block, peut durer une journée et une nuit, quelquefois plus longtemps. La pause peut être collective pour un Block, un atelier.

La bastonnade

Le règlement prévoit, là aussi, 25, 50 et parfois 75 coups, appliqués dans les mêmes conditions que dans les autres KZ. Lorsque les 50 coups sont donnés en une seule fois, la prisonnière meurt assez souvent. Elle meurt toujours lorsqu'il s'agit de 75 coups.

Le Strafblock

C'est le Block disciplinaire, la prison du bagne. La promiscuité y est effroyable. Il est toujours surpeuplé, à tel point qu'il n'est pas possible de s'asseoir pour manger.
Se laver ou se rendre aux toilettes est quasiment impossible. Les conditions de travail ne sont pas moins atroces: déchargement de bateaux, de briques, de sable, de charbon, etc. L'une des punitions les plus pénibles est la vidange que décrit une des détenues qui en est victime:

« Nous partons le matin hors du camp, dans un lieu isolé où un système de pompes amène cette précieuse marchandise brassée et mélangée à souhait dans un immense bassin. Nous devons alors descendre pieds nus dans cette bouillie et faire de nos mains des boulettes en y mélangeant la cendre chaude encore du crématoire: celle-ci est apportée dans des brouettes par d'autres colonnes de punition (en principe des petites Russes). Ces boulettes sont ensuite ramassées par d'autres prisonnières, puis mises à sécher. Elles doivent servir d'engrais pour les Allemands. Je fais pendant deux mois ce travail horrible, tant par l'impression que ces cendres sont celles de nos camarades mortes les jours précédents que par la puanteur de ce mélange à faire en plein été (juillet et août 1944). »

Les expériences médicales

Des expériences médicales ont été pratiquées à Ravensbrück entre le 1er août 1942 et mars 1943, quelques opérations supplémentaires ayant lieu le 16 août 1943.
Le livre-référence relate le calvaire de ces cobayes humains:

« En août 1942, une liste d'une vingtaine de noms est appelée. Les prisonnières sont emmenées. D'habitude ce genre de désignation correspond à une exécution. Mais cette fois, pas de bruit de coups de feu. Les femmes, de jeunes étudiantes polonaises de quinze à vingt-cinq ans, ont été emmenées au Revier et opérées de force. Jusqu'à l'automne 1943, des groupes de huit à dix Polonaises furent ainsi utilisées comme cobayes. Le dernier groupe se révolta et l'intervention eut lieu au cachot. Les 75 " lapins " subirent des opérations similaires sur ordre du médecin SS Gebhardt. Il prélevait sur ces jambes saines des parcelles importantes de muscles, de nerfs, d'os, brisant, taillant, brutalement, du genou à la cheville. Souvent il procédait, dans les plaies ainsi créées, à des injections de cultures de bacilles divers, recréant des conditions d'infection semblables à celles qui se produisent en cas d'accident. Les opérés restaient au Revier des mois, dans le coma les premiers jours, puis retrouvant conscience pour trouver la douleur physique intolérable et la révolte. Pendant ces longs mois, elles étaient l'objet de la curiosité des médecins SS qui venaient regarder et manipuler les plaies infectées, ouvertes jusqu'à l'os, sans tenir compte de leurs souffrances. Six d'entre elles sont mortes après l'opération. Un jour, bien que leurs plaies fussent loin d'être refermées, on les renvoyait à leur Block. Elles n'intéressaient plus. Elles étaient installées au Block 32, Block des NN, et à ce titre considérées comme des condamnées à mort. Cinq d'entre elles furent fusillées au début de septembre 1943, pendant l'appel du soir. Les SS ont essayé de liquider les autres au début de février 1945, mais elles furent cachées et sauvées grâce à la solidarité de toutes . »

Les assassinats

Le nombre des décès quotidiens pour " mort naturelle ", si l'on peut appeler ainsi les décès consécutifs à la faim, à la maladie, au manque d'hygiène, aux coups reçus, etc., ne cesse de croître au fil des mois. En même temps, les nazis tuent de plus en plus par tous les moyens.

Les pendaisons

Elles ont lieu sur la place d'appel des kommandos extérieurs, devant toutes les détenues, les kapos, les SS et le commandant du camp. Le plus souvent le ou les corps restent pendus toute la journée.

Les fusillades

Le commandant adjoint du KZ Schwarzhuber avouera au procès de Hambourg que, pendant son séjour du 12 janvier au 22 avril 1945, il y eut 25 pelotons d'exécution. Sans compter les exécutions individuelles par balle dans la nuque. Ces exécutions ont lieu hors de la vue des déportées près du crématoire, dans " le couloir des fusillées ". Les déportées vivent dans la crainte permanente de ces exécutions.
Le livre-témoignage donne des exemples.

« Le 18 janvier 1945, le Block français prend le deuil. Dès l'appel du matin, Pierrette et Marie-Louise, nos petites parachutistes, ainsi que Suzy et Jenny leurs compagnes radio, officiers de liaison en mission non loin de Paris, arrêtées et incarcérées à Fresnes puis déportées en Allemagne, sont averties, suivant la formule d'usage, qu'elles doivent se tenir à la disposition du commandant avec interdiction formelle de sortir du Block jusqu'à l'heure fixée, 16 h 30. »

Elles ne reviendront pas...

G. Tillion rapporte le témoignage d'un détenu du crématoire, Horst Schmidt :

« Les femmes étaient amenées dans un camion vers 19 heures. Il faisait déjà sombre. Le camion restait arrêté sur la route devant le crématoire sans couper son moteur. Deux hommes, deux SS, faisaient entrer les femmes deux par deux dans la première cour du crématoire. Ces femmes devaient se tenir devant l'étroit passage qui débouchait, à gauche, dans la cour. Elles devaient regarder vers le mur. Pendant que les SS qui avaient amené les femmes retournaient au camion pour y chercher les suivantes, un troisième SS dirigeait le faisceau d'une lampe de poche vers la nuque des femmes. Deux autres SS qui étaient là tiraient dans la nuque des femmes, avec des carabines. Les coups faisaient très peu de bruit, si bien que je supposai que les SS utilisaient des balles spéciales ou que leurs carabines étaient munies de silencieux. Nous autres détenus devions traîner les femmes exécutées sur le côté. Nous les mettions d'abord devant le bâtiment du crématoire. À la première exécution étaient en outre présents l'ancien commandant d'Auschwitz, Höss, le commandant Suhren et deux médecins. »

Le Jugendlager

À Ravensbrück, il permet l'exécution camouflée, sous le couvert d'un camp de repos, des déportées âgées, malades et inaptes au travail.

« Le Jugendlager (traduction: camp de jeunesse). Ironie cruelle puisque c'est le camp officiel de la mort. De 1940 à 1943, ce camp reçoit les Jeunesses hitlériennes délinquantes. C'est un camp de redressement. En 1944 il est vidé des 250 filles qui l'occupent et affecté aux femmes âgées ou impotentes de Ravensbrück, environ 3 000 à 4 000 femmes. Ce camp, à 2 kilomètres du grand camp, est composé de dix-sept baraquements et d'un grand bâtiment administratif. Quand les femmes de Ravensbrück y sont amenées, quatre baraquements sont utilisés comme dortoirs, 1 comme infirmerie. Dans chacun d'eux, divisé en deux parties, on met 1 000 femmes, 500 par côté. Sa contenance a été au maximum de 5 000 femmes en mars 1945. Au procès de Hambourg, le SS Boesel déclare le 15 octobre 1946: " les femmes sélectionnées étaient amenées au Jugendlager, " camp d'extermination ". Les femmes furent mises à la demi-ration, et durent se tenir, par jour, cinq ou six heures en plein air. De toute évidence, cette mesure visait à l'extermination d'un grand nombre de détenues. Dans ces conditions, une cinquantaine de prisonnières mourait chaque jour. Plusieurs centaines de malades y furent transportées. Parmi celles qui furent envoyées au Jugendlager, certaines furent tuées par fusillade et certaines dans une chambre à gaz. »

Les empoisonnements

Les femmes malades du Revier sont aussi tuées par le poison. Le livre-référence rapporte le témoignage d'une détenue:

« Dans ce Revier, je voyais passer la Schwester (sœur) Véra, une seringue et un garrot à la main. J'entendais des cris. Quelques instants plus tard, me rendant aux lavabos, j'y trouvais nues, agonisant sur le carreau, quatre ou cinq femmes qui avaient reçu la " piqûre de Schwester Véra ". Ces femmes venaient d'une chambre au bout du couloir. Cette chambre s'appelait la Tagesraum. Quand on était désigné pour aller dans cette chambre, on nous faisait abandonner toutes nos affaires... À la vingtaine de femmes réunies dans cette chambre, Véra tint ce langage: " Demain, vous devez partir en transport, je vais vous donner un médicament pour vous donner des forces pour faire le voyage." À chacune elle fit prendre une cuillerée de poudre blanche. Ces femmes étaient des juives polonaises, des Russes, des Roumaines, des Yougoslaves et quelques Allemandes. Le lendemain, quand je m'éveillai, toutes celles qui avaient pris la poudre ronflaient. Elles ronflèrent toute la journée. Vers le soir les ronflements cessèrent et les corps devinrent rigides. La " colonne des mortes " vint enlever les cadavres efflanqués. »

Les gazages

Le livre-référence permet de connaître les phases successives de ce moyen d'extermination. Dès le mois de décembre 1944 commence (dans la chambre à gaz du camp) l'extermination systématique en trois temps:

• d'abord l'extermination des malades dites incurables: tuberculeuses, paralysées, folles et idiotes des Blocks 9, 10 et 11 ;

• puis l'extermination des autres malades: maladies rénales, dysentériques, larges plaies suppurantes, oedèmes généralisés, oedèmes de famine des Blocks 6, 7 et 8. Dans l'après-midi, un camion s'arrête devant le Block. On y entasse, en chemise, les femmes désignées le matin. Les filles de salle, fortes et serviles, les amènent avec force bourrades, une ou deux policières armées de bâtons les aident à l'embarquement. On compte les femmes ainsi entassées: il doit y en avoir 40. Si l'une d'elles, à la dernière minute, réussit à s'échapper en sautant par une fenêtre, on prend alors, pour atteindre ce nombre de 40, une ou plusieurs des femmes qui ont aidé à embarquer les autres, ou bien des malades dans leur lit.

Le camion passe la porte, s'engage sur la petite route longeant le lac. On suit le bruit du moteur dans un silence impressionnant qui pèse sur tout le camp et on l'entend s'arrêter près des deux grandes cheminées du crématoire. En général le camion fait trois voyages dans le même après-midi. Nous en déduisons que la capacité de la chambre à gaz est de 120. Il n'y a même plus le simulacre de douches comme à Auschwitz. Une pièce de faible dimension peut, en les comprimant, recevoir 120 personnes, debout, serrées comme des harengs. Les lueurs du crématoire illuminent la nuit, et le lendemain, à l'appel, souvent, le vent du Nord rabat sur nos rangs une fumée épaisse, consistante, qui colle à la peau;

• enfin viennent les sélections pratiquées dans les Blocks ou sur le lieu de travail. Les convois d'autres camps amenant de plus en plus de monde, on ne distribue même plus de numéros matricules. Certains petits transports, des femmes en nombre inférieur à 120, arrivent à la gare et n'entrent même pas dans le camp. Elles sont acheminées directement à la chambre à gaz...

Le 2 mars, le SS Pflaum emmène toutes les femmes grisonnantes qu'il croise sur son chemin. C'est ce jour-là qu'est assassinée la personne que nous aimions et que nous vénérions toutes, l'incarnation de la Résistance française, Mme Emilie Tillion. Son visage émacié et ses beaux cheveux blancs la désignent pour la chambre à gaz. Pflaum l'incorpore à la colonne de victimes qu'il vient de choisir. Sachant fort bien le sort qui l'attend, elle fait un signe de la main et sourit à ses amies, consternées, qui la voient partir impuissantes. Elle est gazée le soir même.

À partir de janvier 1945, les mises à mort sont enregistrées par le secrétariat sous le nom de " transfert de détenues au camp de Mittwerda ". À son procès, le commandant dira qu'il avait imaginé ce camp fictif pour ne pas affoler les futures victimes...

Le martyre des enfants

Certaines femmes arrivant à Ravensbrück étaient enceintes et donnèrent le jour à leur enfant dans le camp. D'autres enfants furent déportés et arrivèrent avec leur mère. D'autres, enfin, arrivaient au KZ après avoir été séparés de leurs parents, au hasard des mouvements des convois de déportés entre les camps.

Les nouveau-nés

Plusieurs étapes ont existé, révèle le livre-référence:

« D'après les témoignages les plus anciens, il y eut des femmes enceintes dès le début de la constitution du camp. Aucun adoucissement de régime ne fut prévu pour elles. Elles travaillaient et faisaient l'appel jusqu'au dernier jour. Lorsqu'elles étaient à terme, elles accouchaient à l'hôpital de Tremplin, puis revenaient au camp. Cette situation dura pendant la période où le but du camp était la soi-disant rééducation. Elle n'intéresse pas encore les Françaises.
En 1942, la conception du camp changea. Le but de la rééducation fut remplacé par celui du rendement du travail. Un médecin, le docteur Rosenthal, est alors nommé au camp; il fait avorter les femmes enceintes de moins de huit mois (plus particulièrement les Allemandes enceintes de prisonniers étrangers). Le fœtus est brûlé directement dans la chaudière, parfois vivant...
En 1943, le docteur Treite succède au docteur Rosenthal. Il semble avoir abandonné les avortements et laissé la grossesse se dérouler jusqu'à son terme. Lors de l'accouchement, les femmes admises au Revier sont assistées par une sage-femme autrichienne prisonnière. L'enfant est étranglé ou noyé devant la mère. Cette sage-femme assistait à leur agonie, parfois fort longue, étant donné la résistance très grande du nouveau-né à l'asphyxie par l'eau (vingt à trente minutes parfois, a-t-elle témoigné).
À la fin de la même année, une nouvelle décision permit de laisser les nouveau-nés en vie, mais rien n'était prévu pour les accueillir. Les mères étaient censées les nourrir au sein, alors qu'elles n'avaient généralement pas de lait, ou un lait trop pauvre pour nourrir un bébé plus de quelques jours. C'est seulement en septembre 1944 que fut créée une chambre spéciale pour les enfants. Plus d'une centaine de nouveau-nés, venus au monde avant cette date, moururent donc de faim. La Kinderzimmer (chambre d'enfants) fut installée dans une très petite pièce d'un Block de malades. Jusqu'à dix nouveau-nés étaient couchés en travers de chaque lit. La pièce logea jusqu'à près de cinquante bébés. Un peu de lait en poudre mélangé à une sorte de gruau était distribué chaque jour. Deux flacons servaient de biberons. Les enfants naissaient généralement assez beaux, puis prenaient rapidement l'aspect de petits vieux. Tous mouraient avant trois mois, de faim, de diarrhée, de pneumonie, etc., »

En dépit de la solidarité des déportées et de l'abnégation des détenues affectées au Revier.
Dans le courant du mois de mars 1945, un groupe de 250 femmes enceintes et quelques nourrissons sont encore gazés.
Près de 800 enfants sont nés à Ravensbrück. Presque tous sont morts. Seuls ont survécu trois petits Français et quelques bébés d'autres nationalités.

Les enfants

A Ravensbrück, leur sort est inhumain.

« Les enfants avaient au camp le même régime que les adultes. Aucun adoucissement ne leur était accordé. À leur arrivée, ils étaient généralement dépouillés, rasés et fouillés comme les adultes, et recevaient, selon les époques, un uniforme rayé ou une défroque peinte d'une croix devant et derrière. Nous les voyions traîner dans des loques trop grandes et lamentables, qui d'ailleurs n'étaient jamais changées. Les enfants étaient présents aux appels. Le matin, ils se levaient aux hurlements de la sirène, à 3 h 30 ou 4 heures selon les périodes. Ils recevaient une tasse du breuvage appelé café et sortaient, dans le froid, qui atteignait moins 33 °C, sous la neige, la pluie et le vent glacial de la Baltique. Il fallait rester immobile, debout pendant une heure, deux, et parfois davantage. Les vêtements restaient parfois mouillés pendant plusieurs jours. A la fin de l'appel, ils retournaient à leur Block, les plus grands poussant les plus petits. Certains essayaient alors de retrouver dans des jeux leur monde rêvé d'autrefois. La plupart ne jouaient pas, mais adoptaient les activités des adultes: épouillage, discussions sur la nourriture. Enfin, la majeure partie du temps de beaucoup d'entre eux se passait sur la paillasse. Ils étaient trop affaiblis pour se livrer à la moindre activité. Seule la solidarité qui régnait entre les prisonnières permit d'entourer un peu ces enfants. »

Les archives du camp ayant été détruites, il est impossible de préciser le nombre des enfants, estimé par les survivantes entre 1000 et 2000.

La stérilisation des fillettes tziganes

Un degré supplémentaire dans l'horreur a été accompli par les nazis avec les expériences de stérilisation de petites filles tziganes. Le but était de découvrir les méthodes les plus rapides et les plus efficaces pour stériliser des millions d'êtres humains appartenant aux races " inférieures ".
Voici la relation du livre référence:

« 120 ou 140 petites Tziganes furent opérées du 4 au 7 janvier 1945. Les plus jeunes n'avaient que huit ans. Un spécialiste de ces expériences, le professeur Schumann, qui avait déjà souvent opéré à Auschwitz, vint sur place. Toute une équipe médicale y participa: le docteur Treite, son adjoint, le médecin qui dirigeait le service sanitaire des SS et des infirmières. Une femme médecin tchèque déportée, radiologue, dut installer l'appareil radiologique en position horizontale. Elle-même et deux collègues virent ensuite entrer une à une les petites filles. On entendait les pleurs et les cris des enfants et on les voyait transporter, sanglantes, dans une autre pièce de l'infirmerie, où on les posait sur le plancher. On sait qu'à Auschwitz le professeur Schumann procédait par irradiation des ovaires par les rayons X; il provoquait des brûlures importantes des tissus environnants, déterminant la mort d'un certain nombre des opérées. À Ravensbrück, il semble avoir procédé autrement. Les trois prisonnières radiologues furent obligées de développer les films radiologiques pris pendant les opérations. Elles les montrèrent en cachette à plusieurs collègues tchèques. On voyait un liquide opaque dans l'utérus et les trompes. Un liquide stérilisant était donc introduit dans l'utérus et jusque dans les trompes.
Si une partie des enfants supportèrent l'opération, d'autres moururent des suites. Conformément aux habitudes des médecins nazis expérimentateurs, et du docteur Schumann en particulier, les organes génitaux de plusieurs victimes furent prélevés pour examen. C'est ainsi qu'au Block 9 fut hospitalisée une petite fille de douze ans, avec une énorme plaie ouverte au ventre, qui ne cessa de suppurer terriblement. Les médecins et infirmières prisonnières du Revier estimaient que cette plaie correspondait à une hystérectomie. Mais pourquoi la plaie n'avait-elle pas été recousue ? L'ouverture n'avait-elle pas été pratiquée uniquement pour permettre aux expérimentateurs SS d'observer directement les organes irradiés laissés sur place, et leur destruction ? Quel qu'ait été le but, la petite fille mit plusieurs jours à mourir dans d'atroces souffrances. »

À la libération du camp, toutes ces malheureuses fillettes avaient disparu, vraisemblablement gazées.

LA FIN

Les détenues de Ravensbrück n'ont pas toutes été libérées dans les mêmes conditions. Certaines ont fait partie de convois d'échange à la suite d'un accord entre Himmler et la Croix?Rouge suédoise. Les premiers convois sont partis au début d'avril 1945 pour la Suisse, les autres par la Suède lorsque la route vers la Suisse a été coupée par le front. D'autres ont réussi à s'échapper pendant l'évacuation des kommandos extérieurs, par exemple les Françaises du kommando de Neubrandebourg aux environs de Waren; mais certains kommandos de Ravensbrück ont été évidemment repliés sur d'autres KZ et ont connu " les routes de la mort " déjà décrites. D'autres enfin ont été libérées dans le camp même: c'est le cas des quelques Françaises qui s'y trouvaient encore lorsque les troupes soviétiques pénétrèrent dans le camp. Jusqu'à la dernière minute, des exécutions massives ont lieu à Ravensbrück. Le livre?référence décrit l'extrême confusion des dernières semaines.

31 mars 1945. On attend une commission de la Croix-Rouge internationale.

1er avril. Hier des malades graves sont parties pour la chambre à gaz.

15 avril. Les rats ont à nouveau mangé la figure des mortes dans le Waschraum.

17 avril. Pendant la distribution des colis de la Croix-Rouge aux juives, Binz aperçoit une femme ayant particulièrement mauvaise mine et demande à la Stubowa: " Pourquoi cette femme a-t-elle si mauvaise mine? - Parce qu'elle revient du Jugendlager et qu'elle travaille tous les jours au sable. " Binz: " Mais c'est un scandale de faire travailler une femme dans un état pareil ! À partir de demain, cette femme doit rester au Block. " La semaine passée, Binz a encore assommé une femme à coups de bottes parce qu'elle ne pouvait plus se traîner.

20 avril. Binz arbore depuis ce matin un brassard de la Croix-Rouge.

22 avril. Au Revier, on inscrit les Françaises malades pour un transport de la Croix-Rouge et les tuberculeuses pour les gaz (16 femmes ont été prises au Block 10). Une colonne de 15 ambulances danoises a emmené deux cents malades. À la nuit tombante, une seconde colonne de vingt autobus de la Croix-Rouge suédoise est parvenue au camp.

23 avril. 800 femmes sont parties dans des autobus. (Germaine Tillion rapporte que la chambre à gaz a fonctionné encore ce jour-là, probablement pour la dernière fois.)

25 avril. Le deuxième transport de Françaises malades est parti pour la Suède.

27 avril. On raconte qu'un transport de Polonaises par la Croix-Rouge a été bombardé; il y aurait dix-huit mortes. Ce n'est pas étonnant, puisque les Allemands utilisent les emblèmes de la Croix-Rouge pour leurs transports de troupes.

28 avril. Depuis hier, les ordres changent toutes les deux heures. Il y a une demi-heure, on disait que tout le camp serait vidé, y compris les malades. Quelques heures après, il ne reste plus que les malades, une partie des détenues appartenant au personnel sanitaire et un nombre indéterminé d'épaves. Une voiture de la Croix-Rouge venue à la nuit tombante a emmené vingt-six malades. D'autres devaient venir prendre le reste des Françaises, Belges, Hollandaises et Polonaises, mais elles n'ont probablement pas pu passer, le front étant déjà tout près. Tout le ciel est illuminé après chaque détonation.

30 avril. Quel délice de se réveiller sans Aufseherinnen, sans sirènes et sans coups de sifflet. Avant de partir, le commandant a dit de faire une grande fosse pour enterrer les mortes (puisque le crématoire ne fonctionne plus).
A 11 h 30, les avant-postes russes sont arrivés. En voyant le premier cycliste de l'armée Rouge, mes yeux se sont emplis de larmes, de larmes de joie cette fois. Je me suis souvenue des larmes de rage que m'avait arrachées la vue du premier motocycliste allemand, place de l'Opéra, en juin 1940...

Parmi les déportées qui sont rentrées: Geneviève Anthonioz de Gaulle, Marie-José Chombart de Lauwe, Germaine Tillion, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Denise Vernay... Un petit camp pour hommes avait été construit dans l'enceinte du KZ, encadré par les ateliers. Son effectif maximal a été de 5 000 hommes. Le 30 avril, les Soviétiques y trouvent 400 morts et 400 survivants, ces derniers dans un état lamentable car depuis huit jours ils n'ont pas d'eau.

Conclusion

123 000 femmes, appartenant à vingt-trois nationalités, ont été immatriculées à Ravensbrück, dont plusieurs milliers de Françaises. D'après mes propres recoupements, il semble possible d'estimer que 60 000 à 70 000 sont mortes. Un peu plus de 3 000 Françaises sont revenues.

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